Le contrôle de l’asthme : un enjeu cardinal de la prise en charge

L’asthme concerne environ 4 millions de personnes en France et demeure, malgré les avancées thérapeutiques, une source majeure de morbidité, d’hospitalisations et d’altération de la qualité de vie (Santé publique France, 2022). Depuis une dizaine d’années, la stratégie de prise en charge ne se limite plus à la prévention des exacerbations ni à l’obtention d’une spirométrie normale : le contrôle de l’asthme est désormais au cœur de la démarche (HAS, 2014 ; GINA 2023).

La Haute Autorité de Santé (HAS) définit, actualise et clarifie les critères du bon contrôle de l’asthme. Savoir les repérer avec précision est essentiel pour limiter la prescription excessive de corticoïdes, diminuer le fardeau des hospitalisations et optimiser la qualité de vie des patients.

Définition du contrôle de l’asthme selon la HAS

La HAS considère que l’objectif central de la prise en charge est l’obtention et le maintien d’un contrôle optimal. Cela englobe trois dimensions :

  • Contrôle des symptômes quotidiens
  • Prévention des exacerbations
  • Maîtrise de la fonction respiratoire

L’évaluation du contrôle ne repose pas exclusivement sur la seule absence de symptômes, mais sur un faisceau d’items, notamment :

  • Fréquence des symptômes diurnes
  • Réveils nocturnes liés à l’asthme
  • Utilisation de médicaments de secours (β2-mimétiques d’action rapide)
  • Limitation des activités sociales, physiques et professionnelles
  • Fréquence des exacerbations (crises aiguës nécessitant une intervention particulière)
  • Fonction respiratoire (VEMS volumine expiratoire maximal par seconde), en particulier chez l’adulte

Les critères spécifiques de bon contrôle de l’asthme selon la HAS

Tableau récapitulatif des critères (HAS, 2014)

Critère Contrôle optimal Contrôle partiel Asthme non contrôlé
Symptômes diurnes < 2 fois/semaine > 2 fois/semaine Plusieurs fois/jour
Réveils nocturnes Jamais 1 ou plusieurs fois/semaine Fréquents
Médicaments de secours < 2 fois/semaine > 2 fois/semaine Utilisation quotidienne
Limitation des activités Aucune Présente Marquée
Exacerbations Aucune ≥ 1/an Fréquentes (≥ 1/mois)
VEMS/prédictif ≥ 80 % 60 à 80 % < 60 %

À retenir : la concordance de tous les critères dans la colonne "Contrôle optimal" définit un asthme bien contrôlé selon la HAS.

Pourquoi ces critères ? Bases scientifiques et consensus

Chacune de ces dimensions répond à des données de la littérature internationale. Le contrôle des symptômes et la limitation des exacerbations traduisent fidèlement le risque de complications sévères ou d’aggravation de la maladie. D’importantes études prospectives (voir HAS, 2014 ; GINA 2023) ont montré que même de faibles fréquences d’utilisation des bronchodilatateurs de secours étaient associées à une perte de chance, et que la persistance de réveils nocturnes constituait un marqueur fiable de mauvais contrôle.

Une méta-analyse publiée dans Thorax (Bateman et coll., 2008) confirme la corrélation linéaire entre la fréquence des symptômes et le risque d’exacerbation grave. Quant au VEMS, il complète l’évaluation, surtout chez l’adulte, en objectivant l’atteinte chronique des voies aériennes et l’efficacité du traitement de fond.

Outils pratiques pour l’évaluation du contrôle

L’application concrète des critères de la HAS en consultation nécessite des outils validés et faciles d’utilisation, utilisables aussi bien par les spécialistes que par les médecins généralistes ou infirmiers en éducation thérapeutique.

  • Questionnaires standardisés tels que :
    • Asthma Control Test (ACT, 5 items, score de 5 à 25 ; ≥20 = bon contrôle)
    • Asthma Control Questionnaire (ACQ)
  • Observance thérapeutique : le bon contrôle n’est envisageable que si l’adhésion au traitement est vérifiable (entretiens motivationnels, dosage de la fluticasone ou du formotérol lorsque justifié).
  • Explorations fonctionnelles respiratoires régulières pour mesurer le VEMS, surtout en cas de doutes sur le ressenti du patient ou de discordance clinique/paraclinique.

Rappelons que le bon contrôle ne peut être apprécié qu’en dehors d’une infection intercurrente ou d’un épisode aigu : la périodicité doit suivre le rythme d’évolution du patient (consultation tous les 3 à 6 mois, ajustée individuellement).

Critères de bon contrôle : points clés pour la pratique

  • Contrôle des symptômes ≤ 2 fois/semaine. Toute augmentation au-delà doit faire rechercher un facteur externe ou une escalade du traitement.
  • Absence totale de réveil nocturne. Il s’agit d’un marqueur puissant, souvent sous-estimé lors des entretiens, notamment auprès des patients jeunes ou actifs.
  • Utilisation minimale du traitement de secours. L’automédication fréquente avec bronchodilatateurs traduit toujours une instabilité du terrain asthmatique, même si le patient minimise la gêne.
  • Pas de limitation des activités. Ce critère doit être interrogé en détail : de nombreux patients adaptent leur vie et n’expriment plus de “limitations” alors que leur asthme est sous-optimal.
  • Aucune exacerbation récente. Après une exacerbation ayant nécessité une corticothérapie orale ou une hospitalisation, le contrôle sera considéré comme non optimal pendant au moins 3 mois.
  • VEMS ≥ 80 % du théorique. En pédiatrie, ce critère peut être difficile à utiliser, alors que chez l’adulte il caractérise mieux l’asthme persistant difficile.

Fausses impressions de contrôle : pièges courants et solutions

Une étude du British Medical Journal (BMJ, 2019) souligne que 30 % des patients asthmatiques surestiment leur niveau de contrôle. Les principaux biais rencontrés comprennent :

  • Une adaptation progressive aux symptômes (le patient s’habitue à une gêne chronique)
  • La minimisation des réveils nocturnes (“je tousse mais ce n’est rien”)
  • La sous-déclaration de l’usage des bronchodilatateurs

La solution : instaurer une évaluation standardisée structurée, en combinant un questionnaire validé (ACT ou ACQ), l’interrogatoire ciblé sur la limitation des activités et la surveillance objective du VEMS, plutôt que de se fier à la seule impression du patient ou du clinicien.

Implications cliniques : ajuster la prise en charge pour tendre vers le bon contrôle

L’intérêt d’une stratification claire entre contrôle optimal, partiel ou absence de contrôle réside dans l’adaptation personnalisée du traitement. Selon la HAS et les recommandations internationales (voir GINA 2023), il convient de :

  1. Évaluer le contrôle à chaque consultation (questionnaire ACT ou ACQ)
  2. Rechercher les facteurs de déstabilisation : observance, technique d’inhalation, exposition allergénique ou tabagique
  3. Ajuster le traitement anti-inflammatoire de fond (notamment la bithérapie CSI/LABA chez l’adulte) selon le niveau de contrôle
  4. Favoriser l’éducation thérapeutique : identification précoce des signes de perte de contrôle, plan d’action personnalisé
  5. Envisager la consultation spécialisée pour tout contrôle partiel ou absent persistant au-delà de 3 à 6 mois malgré le traitement optimisé

Il est notable qu’un contrôle optimal permet de réduire de plus de 75 % le risque d’exacerbations sévères et d’hospitalisations sur le long terme (GINA 2023, Santé Publique France). Il représente également un enjeu économique majeur : l’asthme mal contrôlé engendre un coût direct annuel estimé à 1,5 milliard d’euros en France.

Perspectives : vers une évaluation plus intégrative du contrôle de l’asthme ?

Si les critères définis par la HAS guident aujourd’hui la pratique, des débats émergent sur l’inclusion de dimensions supplémentaires dans l’évaluation du contrôle : retentissement psychologique, impact sur la scolarité ou la vie professionnelle, comorbidités (obésité, anxiété, rhinite chronique).

Des outils numériques d’auto-évaluation intégrés aux appareils connectés, et la place croissante de la télé-expertise, devraient prochainement permettre un suivi encore plus personnalisé du contrôle asthmatique.

La maîtrise de ces critères, leur analyse critique et leur intégration rigoureuse dans les pratiques constituent le principal levier d’amélioration du pronostic des patients asthmatiques. La vigilance et l’adaptabilité restent de mise pour intégrer, aux recommandations HAS établies, les évolutions rapides des connaissances et des outils au service du patient.

  • Sources principales : Haute Autorité de Santé (2014), GINA (2023), Thorax, British Medical Journal, Santé publique France, OMS.

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