Réduire le traitement de fond chez l’asthmatique : un enjeu actualisé

Le sevrage thérapeutique chez le patient asthmatique stabilisé est au croisement de plusieurs préoccupations : sécurité, justesse de l’indication, adaptation au long cours et qualité de vie. Les progrès récents dans la prise en charge de l’asthme ont permis à un nombre croissant de patients d’atteindre un réel contrôle de leur pathologie, posant la question du « juste soin » – ni trop, ni trop peu. Pourtant, cette phase reste entourée d’incertitudes et d’obstacles pratiques : Quels patients sélectionner ? Jusqu’où alléger sans risquer la rechute ? Comment distinguer la stabilisation clinique de la pseudo-stabilisation sous traitement maintenu par excès ?

Dans la majorité des référentiels (GINA, SPLF, BTS/SIGN), l’ajustement à la baisse doit être envisagé pour limiter la iatrogénie et garantir l’acceptabilité à long terme, sans rompre l’équilibre obtenu. Tour d’horizon actualisé des stratégies validées, appuyé sur les dernières données et sur l’expérience du terrain.

Principes du sevrage : le point de départ

Certains points clés fondent la démarche de dé-escalade du traitement de fond dans l’asthme stable :

  • L’asthme est une pathologie inflammatoire chronique évolutive : la stabilisation n’implique pas la guérison, mais un contrôle symptomatique sous traitement.
  • L’arrêt brutal d’un traitement de fond n’est jamais recommandé : le sevrage thérapeutique vise, avant tout, à réduire progressivement la dose optimale efficace.
  • L’objectif est double
    • Prévenir les effets indésirables à long terme des traitements (notamment corticoïdes inhalés/CICS, bêta2 à longue durée d’action),
    • Maintenir une qualité de vie optimale, sans retour des symptômes ni exacerbations.

Il s’agit d’un processus itératif, impliquant une évaluation régulière et partagée entre patient et soignant.

Critères de sélection : qui peut envisager une réduction ?

Le GINA 2023 rappelle que la réduction du traitement se discute après au moins 3 à 6 mois de stabilité, définie par :

  • Absence d’exacerbation ;
  • Symptômes diurnes < 2 j/semaine ;
  • Aucune limitation d’activité ;
  • Utilisation minimale (< 2 fois/s) des traitements de secours ;
  • Pas de réveils nocturnes dus à l’asthme.

D’autres critères de sélection sont à considérer, selon SPLF :

  • Adhésion thérapeutique confirmée ;
  • Technique d’inhalation correcte ;
  • Absence de facteurs de risque de rechute sévère (hospitalisation antérieure, exacerbations multiples, déclin rapide du VEMS, polypathologie, antécédent d’asthme aigu grave).
  • Bilan environnemental stable (pas d’exposition nouvelle à des allergènes/irritants).

Moins de 20 % des patients adultes asthmatiques suivis en ville réunissent d’emblée ces critères (source : étude REALISE, ERS 2016).

Modalités pratiques du sevrage : une stratégie graduée

Le processus n’est ni linéaire ni uniforme. Il concerne pour l’essentiel la réduction des CICS, pilier de la prise en charge. Le GINA, comme la SPLF et la BTS, proposent d’y aller par paliers, en privilégiant la personnalisation :

Étape 1 : Réduire la dose du corticostéroïde inhalé (CICS)

  • En cas de contrôle parfait à dose moyenne ou élevée de CICS, réduire de 25 à 50 % la dose.
  • Évaluer tous les 2 à 3 mois (critères cliniques, Mini-AQLQ ou ACT, VEMS).
  • Si stabilité maintenue, répéter l’étape et tendre vers la dose minimale efficace.

À chaque palier, il est recommandé de ne pas réduire plus souvent que tous les 3 mois, pour distinguer une stabilisation prolongée d’une simple rémission temporaire.

Exemple : Un patient sous budésonide/formotérol 200/6 µg x2/j stable depuis 6 mois peut passer à 200/6 µg 1/j, puis à 100/6 µg 1/j si stabilité maintenue.

Étape 2 : Alléger le « LABA » ou arrêter l’antagoniste des récepteurs des leucotriènes (ARLT)

  • En cas de bithérapie CICS/LABA : réduire d’abord le CICS, puis envisager une monothérapie CICS en cas de stabilité persistante.
  • L’arrêt du LABA est possible mais controversé, certains patients rechutant lors du passage en monothérapie (voir études SYGMA, NEJM 2018).
  • Le sevrage de l’ARLT peut se discuter chez l’adulte, mais doit être prudent dans l’asthme allergique ou à risque chronique.

Il est toujours préférable de ne pas interrompre brutalement l’ensemble des traitements.

Étape 3 : Vers un traitement intermittent ou « à la demande »

Pour de rares patients (asthme intermittent, ou intermittent sous traitement), il est possible de n’utiliser le CICS ou la combinaison CICS/LABA seulement à la demande (modèle AIR/FORCE, GINA 2023). Ce schéma a réduit le risque d’exacerbation comparé à la monothérapie SABA (O’Byrne et al, NEJM, 2018).

Risques et vigilance : ce qui fait échouer un sevrage

Réduire le traitement expose à des risques :

  • Rechute symptomatique ou exacerbation : 15 à 40 % des patients rechutent dans les 6 mois qui suivent la réduction du CICS (Gallagher, Thorax 2022).
  • Perte de fonction respiratoire : même en l’absence de symptômes, une chute du VEMS de 5-10 % peut survenir, lésant à bas bruit la réserve fonctionnelle (cf. étude TENOR, Chest 2017).
  • Phénomène de « lune de miel thérapeutique » : l’abaissement rapide du traitement peut masquer une inflammation résiduelle, d’où l’importance des marqueurs (NO exhalé, Eos sang, etc.) chez certains sujets.
  • Comorbidités masquées : la réduction peut démasquer un syndrome de VAS associé ou une pathologie allergique sous-jacente.

D’où l’impératif d’un plan d’action personnalisé : chaque patient doit savoir reconnaître les signes de déstabilisation et accéder facilement à un avis médical en cas de rechute.

Surveillance lors du sevrage : acteurs, outils et rythme

Le suivi rapproché post-sevrage est la clef. L’évaluation repose sur plusieurs outils complémentaires :

  • Scores de contrôle : ACT, ACQ, Mini-AQLQ tous les 4 à 8 semaines.
  • Explorations fonctionnelles : VEMS, DEP hebdomadaire à domicile les deux premiers mois.
  • Phénotypage inflammatoire : NO exhalé (si disponible), éosinophiles sanguins chez les patients à risque de rechute.
  • Evaluation de la technique d’inhalation à chaque visite.
  • Education thérapeutique ciblée : reconnaissance précoce d’un souffle court, gestion d’une éventuelle reprise du traitement.

La responsabilité est partagée : le patient bien informé reste le meilleur acteur de la sécurité du sevrage.

Questions les plus fréquentes sur le sevrage thérapeutique de l’asthme

  • « Peut-on arrêter totalement le traitement de fond ? » : L’arrêt total est rarement recommandé, même après plusieurs années de stabilité. La littérature montre que moins de 10 % des patients adultes maintiennent un contrôle durable sans aucun traitement (Boulet, Allergy 2018). Certains patients « sortent » de l’asthme, surtout les asthmes allergiques de l’enfance, mais cela reste exceptionnel à l’âge adulte.
  • « Quel est le risque de rebond lors de la réduction des corticoïdes inhalés ? » : Il varie selon le phénotype, mais globalement, 1 patient sur 3 présente une ré-ascension symptomatique dans l’année suivant une réduction trop rapide (cf. Gallagher, Thorax 2022).
  • « La biothérapie est-elle concernée par le sevrage ? » : Chez l’asthmatique sévère sous biothérapie (anti-IgE, anti-IL5/5R, anti-IL4R), une réduction du CICS est souvent possible, sous stricte surveillance, mais l’arrêt de la biothérapie elle-même reste l’exception. Les études de sevrage contrôlé pilotées par les centres experts sont en cours (source : REGATE, Bicetre 2022).
  • « Quel lien avec la prévention de la BPCO ? » : Un asthme mal contrôlé prédit un doublement du risque de déclin accéléré du VEMS et une conversion vers une BPCO asthmatique (Martinez, Am J Respir Crit Care Med 2018). L’équilibre entre limiter la iatrogénie et prévenir la progression à bas bruit conditionne la personnalisation du sevrage.

Pistes pour la pratique et perspectives ouvertes

  • Sous-utilisation du sevrage : Malgré des recommandations claires, le sevrage n’est proposé que dans 35 à 40 % des cas éligibles en ville (SPLF, 2019), souvent par crainte de déstabiliser un patient « équilibré ».
  • Marqueurs pronostiques : Le rôle du NO exhalé, du DEP connecté, des biomarqueurs sanguins ou du test de réduction en milieu supervisé restent à mieux préciser dans les cohortes européennes hors essais.
  • Nouvelles technologies : Le suivi digital, l’auto-mesure accompagnée (applis, objets connectés) et l’intégration de l’IA dans la prédiction du risque de rechute ouvrent de nouvelles voies à surveiller dans la décennie à venir.
  • Individuation du risque : Construire, au-delà des guidelines, une « prognostic map » propre à chaque patient, tenant compte du terrain, du phénotype, de l’histoire évolutive et de la perception subjective, semble être l’étape à venir pour sortir de la logique du tout ou rien.

Le sevrage thérapeutique de l’asthmatique stabilisé rejoint les grands chantiers de la médecine personnalisée : il n’y a pas de solution universelle, mais une réflexion contextualisée, exigeante, engageant à la fois le patient, le prescripteur et le système de soins. Rester vigilant sur la réalité du terrain, documenter plus systématiquement les rechutes, et travailler l’éducation à l’autonomie du patient, tels sont les pivots d’une stratégie de sevrage responsable et moderne.

Références :

  • GINA – Global Initiative for Asthma 2023 (www.ginasthma.org)
  • SPLF – Asthme de l’adulte : recommandations 2022
  • Gallagher N et al. “Outcomes of stepping down inhaled corticosteroid therapy in adult asthma.” Thorax 2022
  • Boulet L-P et al. “Can We Discontinue Inhaled Corticosteroids in Asymptomatic Asthma?” Allergy 2018
  • O’Byrne PM et al. “As-needed budesonide-formoterol versus maintenance budesonide in mild asthma.” NEJM 2018
  • Martinez FJ et al. “Asthma-COPD Overlap: Does It Exist?” Am J Respir Crit Care Med 2018
  • TENOR Study Group, “Suboptimal asthma control: magnitude, causes and management,” Chest 2017

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