Pourquoi confirmer la BPCO : enjeux actuels et écueils diagnostiques

La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) constitue la 3ème cause de mortalité dans le monde (OMS, 2023). En France, elle concernerait jusqu’à 7,5% des adultes de plus de 40 ans, mais moins d’un tiers des patients sont diagnostiqués ou pris en charge aux stades précoces (INVS, 2019). Au quotidien, la moitié des diagnostics sont encore posés sans spirométrie, source majeure d’erreurs (HAS, 2023).

Un diagnostic rigoureux n’est pas seulement une exigence de bonne pratique : il conditionne la pertinence du parcours de soins, l’accès aux traitements et la limitation de la surmédicalisation. La dernière mise à jour de la HAS (juin 2023) rappelle des points incontournables, adaptés à la pratique de ville.

Quand penser à la BPCO en consultation ?

La suspicion de BPCO repose sur l’association de facteurs de risque et de symptômes respiratoires chroniques. Néanmoins, le diagnostic ne doit jamais être posé sur un simple faisceau d’arguments cliniques. Les recommandations indiquent de rechercher systématiquement une BPCO chez :

  • Toute personne de plus de 40 ans fumeuse ou ex-fumeuse (consommation ≥ 10 paquets-années)
  • Patients exposés à des agents inhalés toxiques (poussières organiques, chimiques, biomasse)
  • En présence de toux productive ou dyspnée d’effort persistante, non expliquée par une autre cause
  • Patients présentant des infections respiratoires basses itératives
  • Cas de retard de récupération post-infection bronchique ou grippale

Il est crucial de distinguer BPCO des diagnostics différentiels précoces tels que l’asthme, l’insuffisance cardiaque, voire la bronchectasie, lesquels partagent certains symptômes.

Étape 1 : Recueillir l’argumentaire clinique détaillé

La première consultation ne doit négliger ni l’interrogatoire, ni l’examen physique, même si ce dernier est souvent peu contributif en dehors des stades avancés.

  • Antécédents : tabagisme actif/ancien, exposition professionnelle, existence de comorbidités (cardiaque, métabolique, néoplasique).
  • Symptômes : toux chronique, expectorations, dyspnée d’effort, sifflements expiratoires, majoration des symptômes matinaux.
  • Retentissement : gêne fonctionnelle (MRC / CAT score), réduction des activités, absences professionnelles ou recours aux soins urgents.
  • Exacerbations : nombre sur l’année écoulée, gravité, hospitalisations.

La dyspnée d’effort (échelle MRC ≥1) est le symptôme principal mais il est inconstant, parfois minimisé par les patients eux-mêmes.

Étape 2 : L’indispensable spirométrie – Le test clé

Aucun diagnostic de BPCO ne peut être fixé sans preuve spirométrique d’obstruction bronchique persistante et non réversible (HAS, 2023). La spirométrie est accessible en cabinet avec du matériel validé et du personnel formé.

  • Valeur cible pour la BPCO : Le rapport VEMS/CVF post-bronchodilatateur < 0,70 confirme l’obstruction.
  • Bronchodilatateur :
    • Couramment utilisé : 400 mcg de salbutamol en inhalation
    • Attendre au minimum 10 à 15 minutes avant de refaire la spirométrie
  • Absence de normalisation : Si le VEMS/CVF reste < 0,70, l’obstruction est dite non réversible, critère cardinal de la BPCO.
  • Stades de sévérité (GOLD) :
    • VEMS ≥ 80% de la valeur théorique : stade 1 (léger)
    • VEMS 50-79% : stade 2 (modéré)
    • VEMS 30-49% : stade 3 (sévère)
    • VEMS < 30% : stade 4 (très sévère),

Plus d’un tiers des examens menés sans bronchodilatation préalable sous-estiment la réversibilité : le diagnostic différentiel avec l’asthme est alors mal posé (PNEUMORUN, 2022).

Que faire en absence d’accès à la spirométrie ?

La HAS encourage le développement de la spirométrie en soins primaires. Un patient à risque doit être adressé au plus vite pour spirométrie externe (laboratoire, pneumologue), sur prescription argumentée : la réalisation du test est prioritaire sur tout examen d’imagerie ou prélèvement biologique.

Étape 3 : Éliminer l’asthme et les autres diagnostics différentiels

La BPCO n’est pas un diagnostic par défaut. La HAS insiste sur le fait de rechercher une histoire d’asthme de l’adulte (antécédent personnel d’atopie, crise de sibilance, variabilité des symptômes) : une réponse complète et rapide au test bronchodilatateur oriente nettement vers l’asthme (allègement des critères si VEMS augmente > 400 ml ou > 15% après bronchodilatation).

  • Autres diagnostics à éliminer :
    • Insuffisance cardiaque gauche,
    • Bronchectasies,
    • Fibrose interstitielle ou pneumopathies infiltrantes,
    • Causes fonctionnelles ou psychogènes (dyspnée isolée sans anomalie ventilatoire),
    • Tumeurs bronchiques.

Des éléments d’orientation : hémoptysies, douleur thoracique atypique, amaigrissement rapide, symptômes nocturnes isolés – doivent motiver une orientation pneumologique rapide, avant toute confirmation de BPCO.

Étape 4 : Un bilan minimum, sans excès ni retard

  • Imagerie thoracique : La radiographie du thorax n’est pas systématique pour le diagnostic (HAS, 2023), mais recommandée si suspicion de complication (pneumonie, cancer du poumon, emphysème bulleux suspecté, diagnostic différentiel non tranché).
  • Bilan biologique : Aucun marqueur sanguin spécifique n’est recommandé en systématique. La dosage d’alpha-1 antitrypsine est conseillé en cas de BPCO jeune (< 45 ans), antécédents familiaux, ou phénotype panlobulaire.
  • Score d’évaluation : Outils validés pour quantifier le retentissement : MRC (Medical Research Council) pour la dyspnée, CAT (COPD Assessment Test) pour la qualité de vie spécifique. Ces scores servent aussi à stratifier la prise en charge.

L’épreuve d’effort (pléthysmographie, DLCO) reste du domaine spécialisé, non nécessaire au diagnostic de ville.

Points de vigilance, erreurs fréquentes à éviter

  • BPCO sans tabac : Plus de 20% des patients BPCO en France n’ont jamais fumé (INSERM, 2018), l’exposition professionnelle ou à la pollution domestique doit être recherchée activement, sans préjugé.
  • Sous-diagnostic des femmes : On estime que 47% des femmes BPCO ne sont pas identifiées en raison de symptômes “atypiques” ou sous-évalués (Société de Pneumologie de Langue Française, 2021).
  • Absence d’obstruction confirmée : En cas de VEMS/CVF normal, le diagnostic doit être remis en cause ; la notion “BPCO pré-clinique”, sans obstruction spirométrique persistante, n’a pas d’existence validée hors essais cliniques.
  • Surdiagnostic chez le sujet âgé : L’abaissement physiologique du VEMS/CVF avec l’âge peut faussement suggérer une BPCO : en cas de doute, utiliser les valeurs de références et la courbe LLN (Lower Limit of Normal) si disponible.

Vers une confirmation “terrain” : atouts et limites du diagnostic de ville

La généralisation de la spirométrie en soins primaires reste un objectif-clé pour améliorer le diagnostic précoce : une étude menée sur 12 000 patients de médecine générale montre qu’un interrogatoire bien mené et la réalisation d’une spirométrie adaptée triplent le taux de détection des BPCO modérées (BMJ, 2021).

Quelques limites persistent : accès inégal au matériel, formation insuffisante du personnel, méfiance sur la qualité des spirométries hors consultation spécialisée. Les recommandations 2023 encouragent pourtant à dépasser ces freins avec des outils standardisés et des formations validées (HAS, OMS).

À l’avenir, les tests de la fonction pulmonaire simplifiés ou portatifs, les campagnes de dépistage ciblé, et une meilleure sensibilisation des professionnels pourraient rapidement réduire l’errance diagnostique et les retards de prise en charge.

Pour aller plus loin : ressources et preuves

En savoir plus à ce sujet :